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Le mois du film doc

Chaque année, au mois de novembre, les bibliothèques, salles de cinéma, associations et autres lieux, organisent des projections.

L’objectif de cette manifestation est de rendre visibles à un large public des films documentaires peu vus ou échappant au réseau de distribution classique.

La Médiathèque des Gaves s’associe chaque année à cet événement pour montrer ces œuvres singulières à un public non spécialiste et valoriser leur diffusion. Le choix des films est souvent thématique et les projections sont fréquemment accompagnées de temps de rencontres, débats, expositions, etc…

Pour l’édition 2021, Pierre, responsable de la section cinéma, audiovisuel et musique, a choisi d’aborder le courage de la désobéissance au travers d’un documentaire poignant, explorant un pan d’histoire trop peu connu.

Aristides de Sousa Mendes
Aristides de Sousa Mendes

 

L’héritage d’Aristides

Aristides de Sousa Mendes est nommé consul général du Portugal à Bordeaux en août 1938, à 53 ans.

Voyant arriver par milliers des réfugiés menacés par les nazis dès 1939, il prend le 17 juin 1940 une décision qui va faire basculer sa vie. En ouvrant les portes du consulat, il désobéit aux ordres du Premier Ministre portugais, le dictateur Salazar et à sa circulaire du 11 novembre 1939 qui interdisait l’entrée au Portugal aux juifs, aux apatrides et aux opposants politiques.

Sousa Mendes, au mépris du risque pour lui, et sa famille de 14 enfants, commence à délivrer massivement passeports et visas. En 9 jours, il va permettre ainsi à 34 000 personnes dont 10 000 Juifs d’échapper à la barbarie nazie.

Rappelé au Portugal dès juillet, il est destitué de l’ensemble de ses droits, sa carrière brisée, sa famille disloquée et condamnée à l’exil, et il achèvera sa vie en 1954 dans la misère et l’indifférence. Sur son lit de mort, il dit à son neveu : “Je n’ai rien à vous laisser sauf mon nom et il est propre.”

Aristides de Sousa Mendes a été reconnu Juste parmi les nations dès 1966, l’un des deux seuls Justes du Portugal, mais son pays natal n’a réhabilité son nom qu’après la dictature, en 1986.

 

L’émotion nous gagne dès la bande annonce, les témoignages sont marquants et l’histoire incroyable. Si vous souhaitez en voir davantage, le DVD est à votre disposition à la Médiathèque des Gaves.

Derrière la caméra

En retraçant l’histoire du Diplomate, le film de Patrick Séraudie questionne la transmission de cette action remarquable mais si chèrement payée. Il donne la parole aux enfants et petits-enfants de réfugiés sauvés par le consul, mais aussi à ses descendants.

Certaines des personnes présentes lors de la projection découvraient cette histoire fascinante. D’autres la connaissaient. Quoi qu’il en soit, c’est un auditoire touché qui a eu l’occasion d’échanger avec le réalisateur.

C’est en vivant des moments aussi privilégiés que nous réalisons l’importance de ces rencontres. Qu’il s’agisse d’un auteur, d’un réalisateur ou d’un artiste, c’est toujours pour le public l’occasion de vivre des instants d’échanges d’une rare qualité.

Et pour nous, de vous en dévoiler un peu plus, grâce à l’interview que M. Séraudie a bien voulu nous accorder.

Hélène du Pôle Culture (H.) : Bonjour Monsieur Séraudie. Pouvez-vous nous dire comment est né ce projet ?

Patrick Séraudie (P.S.) : Cela faisait un moment que je voulais le faire. Pour vous expliquer le projet, j’ai fait deux films, à 20 ans de distance, qui traitent de l’immigration portugaise en France, dans la région d’où je suis originaire, Brives en Corrèze. Dans le cadre de ces films, je suis beaucoup allé au Portugal, où j’ai connu cette histoire, méconnue et pourtant intéressante. On connait tous la liste de Schindler mais l’action des ces Diplomates pendant la seconde guerre mondiale n’est pas du tout connue.

C’est resté dans un coin de ma tête, et mon travail autour de la seconde guerre mondiale depuis 15 ans a fait que je ne pouvais pas ne pas raconter cette histoire. Vers 2017, j’ai commencé à réfléchir à un film qui traiterai de la désobéissance. J’ai alors décidé de recentrer l’action sur l’histoire d’Aristides.

H. : J’imagine que cela vous a demandé un grand nombre de témoignages, de documentation. Comment procédez-vous à ce travail de collectage ?

P.S. : Lorsque j’ai décidé de travailler sur ce projet, j’ai pris contact avec une personne qui m’a vraiment ouvert toutes les portes, c’est Manuel Dias à Bordeaux, qui dirige le Comité français de Sousa Mendez. Il milite pour faire connaitre l’action d’Aristides, depuis la fin des années 80. Si l’action d’Aristides n’est pas très connue, c’est surtout la volonté du dictateur Salazar qui, en 1940, a tout fait pour étouffer cette histoire, casser la vie professionnelle d’Aristides ainsi que toutes possibilités pour sa famille.

H. : D’où vous vient cette envie de comprendre l’impact et le poids du vécu ?

P.S. : Ce que j’essaie de faire sur ces sujets qui sont liés aux conflits, c’est raconter la grande histoire par les petites histoires des individus. Il y une mode en ce moment à la télévision de films sur la seconde guerre mondiale à base d’archives, survitaminés, avec des chiffres délirants et c’est complètement abstrait pour les gens. Lorsqu’une personne dans une famille vous raconte son histoire et ce qui lui est arrivé, tout de suite, cela devient plus concret. C’est ça que je recherche, et ce dans quasi tous mes films qui traitent des sujets de la guerre, c’est questionner la transmission. Au sein des familles, au sein de la communauté, au sein de la société. Et je vois bien, notamment sur ces sujets que j’arrive à l’extrême limite. Les gens ont disparus. Aristides c’était il y 81 ans, aujourd’hui plus personne ne peut témoigner de ce qu’il a vécu. C’est la fin de ce genre de films, c’est pourquoi je vais passer sur une autre période et travailler sur le Rwanda, pour garder cette possibilité de faire parler les rescapés, les témoins…

H. : Vous semblez avoir un réel besoin de libérer la parole. Est-ce pour vous un moyen d’exorciser le passé ?

P.S. : Je ne sais pas. Je pense effectivement que par exemple le film que j’ai fait sur les pendus de Tulles, on m’a souvent dit que je faisais un travail de psy. Les gens se livrent alors qu’ils ne l’avaient jamais fait, et ils se livrent devant une caméra, ce qui n’est pas le plus aisé. Pour moi, ça fait sens. Je ne supporte pas la violence et peut-être que c’est un exutoire de traiter ces sujets là.

H. : Quel rôle, selon vous, joue le cinéma dans la transmission de mémoire ?

P.S. : C’est justement l’occasion de filmer des personnes qui avaient beaucoup de difficultés à parler de ce qui leur est arrivé, à cause de la douleur, à cause de pleins de choses. Je pense que c’est une relation de confiance. Je vois toujours les gens avant, on discute beaucoup. Cela repose sur une confiance mutuelle. D’ailleurs, dans la plupart des cas, les gens ne voient jamais le film avant qu’il soit montré au public. C’est aussi, je pense, la différence entre un reportage fait par un journaliste, et la démarche d’un documentariste qui va prendre un ou deux ans pour faire un film.

H. : N’êtes-vous pas troublé à force de récoler ce genre de témoignages ? C’est un poids colossal !

P.S. : Oui oui, bien sûr. Là, par exemple, je suis allé faire un repérage au Rwanda au mois de juin. J’ai rencontré des rescapés avec des témoignages terribles. C’est d’une violence inimaginable et il est clair que c’est lourd au bout d’un moment. Mais après, j’ai l’impression que lorsque l’on rentre dans le tournage, la caméra sert comme un filtre. Je ne sais pas si le fait de faire un film peut les aider, mais cela va servir leur cause, donc je me concentre sur ça.

H. : Un travail en cours ?

P.S. : Je termine un film sur la Shoah, qui sortira dans un an et qui traite d’une famille juive qui va traverser toute la guerre, originaire de Pologne, mais qui était à Anvers et va descendre en France. L’homme va être fusillé au bord d’une route corrézienne, à 15 km de chez moi. Je raconte l’histoire de cette famille. La mère avec les enfants très jeunes, va pouvoir quitter la France sans se faire attraper et aller s’installer en Israël en 1945. J’ai retrouvé les enfants et les petits enfants. Je raconte une double amnésie : comment en France, en Limousin, les juifs dès la fin de la guerre ont complètement disparus de la circulation jusqu’aux années 2000, un peu comme Aristides. Et comment en Israël, au sein de la famille, cela a été tellement violent pour la mère qu’elle n’a quasiment rien transmis. Les enfants ayant vécu jusqu’à l’âge de quasiment 70 ans, sans connaitre précisément l’histoire de leur père. C’est un film qui va terminer un cycle sur cette période là.

En parallèle, j’écris le projet sur le Rawanda. Je travaille également sur un autre projet qui s’appelle “Les gardiens de la mémoire” et qui traite des associations de victimes, en prenant comme point de départ l’Association Nationale des Familles des Victimes d’Oradour. L’idée est de mettre en parallèle cette association avec des associations plus jeunes, comme “Life for Paris”. Je vais également intégrer une association des veuves du Rwanda. Le rapport et la prise en charge des victimes a tellement évolué en 75 ans. Le film va raconter la raison d’être des ces associations de victimes.

Nous tenons à remercier très sincèrement Patrick Séraudie, tant pour sa sympathie que pour la richesse des échanges qu’il nous à offert. Peut-être aurons nous la chance de le recevoir à nouveau dans nos murs ?

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